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Burkina Faso: quatre questions sur le coup d’Etat

 
source: http://www.liberation.fr/monde/2015/09/17/burkina-faso-quatre-questions-sur-le-coup-d-etat_1384375

Le lieutenant-colonel Mamadou Bamba, membre du Régiment de sécurité présidentielle, annonce le 17 septembre 2015 à la télévision nationale burkinabée qu’un nouveau «Conseil national de la démocratie» (CND) vient d’être créé et remplace les autorités de transition.

Les militaires putschistes ont annoncé à la télévision nationale la destitution du président de transition et la dissolution des institutions.

Depuis mercredi après-midi, des membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) séquestrent le président par intérim, le Premier ministre et deux ministres du Burkina Faso. Les militaires putschistes ont annoncé jeudi matin à la télévision nationale la destitution du président, la dissolution des institutions de transition, et la création, en remplacement, d’un Conseil national de la démocratie (CND), présidé par le chef du RSP Gilbert Diendéré. Le CND a également décidé d’instaurer un couvre-feu de 19 heures à 6 heures, et de fermer les frontières. La transition politique de ce pays d’Afrique de l’Ouest, entamée le 31 octobre 2014 avec la chute de Blaise Compaoré sous la pression de la rue, est largement compromise.

1. Qui est Gilbert Diendéré?

Honni et craint par la société civile, mis sur la touche mais peu inquiété depuis la chute de «Blaise», le général Gilbert Diendéré, 55 ans, n’avait pas fui le Burkina Faso. A la faveur de ce putsch, il devient président de la nouvelle autorité autoproclamée, le Conseil national de la démocratie (CND). Ancien chef d’état-major de Compaoré, Diendéré est le patron historique du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), à la manoeuvre du coup d’état.

Dans un entretien à France24, le général Diendéré, qui assure qu’il va bientôt libérer Kafando et Zida, dément tout contact avec l’ex-président Blaise Compaoré. «Je n’ai pas eu de contacts avec lui», a-t-il affirmé.

Homme fort du régime déchu, Diendéré a longtemps été «le big boss des renseignements généraux»comme le décrivait un portrait de Jeune Afrique en 2013. Il s’est notamment attiré les bonnes grâces des puissances européennes en aidant à la libération de plusieurs otages occidentaux enlevés au Mali et au Niger par Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi). Proche de l’ex-commandant de la force Licorne et ancien ambassadeur de France au Burkina, le général Emmanuel Beth, il a même été décoré de la légion d’honneur en 2008 des mains de Nicolas Sarkozy.

Mais le nom de Gilbert Diendéré est surtout associé aux heures les plus sombres du régime Compaoré. Il était le chef du commando qui a assassiné le président Thomas Sankara, véritabel icône panafricaine, en 1987. Puis du RSP, connu pour ses tortures et lié à plusieurs assassinats. Diendéré a également été impliqué dans la guerre du Libéria. En Sierra Leone, il a été mis en cause en 2005 par l’ONU pour trafic d’armes avec les rebelles sierra-léonais, contre des diamants.

2. Qu’est-ce que le Régiment de sécurité présidentielle (RSP)?

RSP: ces trois lettres font frémir la population burkinabée depuis la création de ce corps d’élite, en 1995. A l’époque, Blaise Compaoré veut asseoir son pouvoir, qu’il a pris à la faveur du coup d’état sanglant en 1987 pendant lequel est assassiné le très populaire président Sankara. Dirigés par Diendéré depuis l’origine, mieux entraînés et beaucoup mieux équipés que l’armée du pays, les hommes du RSP – entre 1200 et 1500 hommes selon les sources -, vivent dans une caserne qui jouxte le palais présidentiel de Kosyam, à Ouagadougou.

Ce sont certains éléments de ce Régiment qui ont pris d’assaut le conseil des ministres mercredi après-midi, séquestrant depuis le Président intérimaire Michel Kafando, son Premier ministre et deux autres ministres du gouvernement de transition. Le RSP n’en est pas à son coup d’essai: le 4 février dernier, certains membres de cette ex-garde prétorienne de Compaoré avaient déjà fait irruption en plein Conseil des ministres, exigeant la démission du Premier ministre Zida. Rebelote fin juin : depuis la chute de «Blaise», le RSP, vu par la société civile comme le cheval de Troie de Blaise Compaoré, a engagé un bras de fer avec les autorités de transition.

3. Quels ont été les déclencheurs probables du coup d’état?

En presque un an, les autorités ont tenté de maintenir le cap de la transition, en faisant voter d’importantes réformes (justice, code minier), et en permettant l’ouverture d’enquêtes sur les assassinats de Sankara et du journaliste Norbert Zongo, après des années de déni de justice. Tant bien que mal: les obstacles ont été nombreux, notamment avec les différents coups de force du RSP, et la pression politique, médiatique et diplomatique des proches de Compaoré.

Des événements récents pourraient avoir poussé le Régiment à aller jusqu’au putsch. Lundi, la Commission de réconciliation et de réforme a remis au Premier ministre un rapport appelant justement à la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle, considérant que le RSP était «devenu une armée dans l’armée».

Autre éventuelle étincelle, les récentes décisions du Conseil constitutionnel de rendre inéligibles Eddie Komboïgo, le candidat de l’ancien parti de Compaoré, ainsi qu’une quarantaine d’autres candidats proches du président déchu aux prochaines élections. Le camp de Compaoré se déchaîne depuis de longs mois contre la décision, par les autorités de transition, d’exclure des élections présidentielle et législatives d’octobre 2015 les personnes ayant pris position pour le changement de constitution, qui aurait permis à Compaoré de briguer un nouveau mandat et a entraîné l’insurrection d’octobre. Le code électoral avait d’ailleurs été invalidé cet été par la Cour de justice de la Cédéao.

Enfin, peut-être un simple hasard de calendrier, les conclusions de l’expertise balistique et de l’autopsie des restes présumés de Thomas Sankara et des douze personnes assassinées le 15 octobre 1987, exhumés en mai dernier, devaient être rendues publiques… ce jeudi matin à 9 heures, par le Tribunal militaire. Après des années de déni de justice, l’enquête sur ces assassinats, jamais élucidés et jamais jugés, avait été relancée au printemps dernier par les autorités de transition.

4. Où est passée la famille Compaoré?

De Blaise en passant par son frère François et la belle-mère de ce dernier, la mainmise politique et économique de la famille Compaoré sur le Burkina Faso était fermement établie pendant presque trois décennies. Ami proche du président ivoirien Alassane Ouattara, Blaise Compaoré vit aujourd’hui en exil à Abidjan. Quant à François, «Monsieur frère» comme l’appelait la presse du pays, et sa belle-mère Alizéta Ouedraogo, ex-présidente de la Chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso, ils sont installés au Bénin depuis l’insurrection populaire d’octobre 2014.

Maintenant que les autorités de transition ont été dissoutes, le président destitué, et avec le fidèle Gilbert Diendéré au pouvoir, le clan Compaoré va-t-il tenter de revenir au Burkina Faso?

Isabelle Hanne